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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/530

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L’exemple de la Russie prouve que de nos jours la liberté de la presse n’est pas seule responsable des progrès de l’esprit révolutionnaire. Certes, cette liberté n’est pas une panacée ; elle ne cicatrise pas toutes les plaies qu’elle aime à sonder, elle envenime parfois le mal qu’elle prétend guérir. Plus qu’aucune autre elle a ses défauls et ses inconvénients ; mais, en dehors des considérations politiques, elle a pour l’État des avantages que rien ne remplace. Avec elle, l’esprit révolutionnaire n’aurait peut-être pas fait moins de victimes ; à coup sûr il n’aurait été ni plus redoutable, ni plus contagieux, et le gouvernement et la nation auraient été plus éclairés sur leurs propres besoins et leurs propres forces. Avec le droit de discussion et le droit de critique, le pouvoir eût été mieux informé ; l’administration, la justice, l’instruction publique, les finances, l’armée même, y eussent plus gagné que la révolution. Si les pays où la presse est affranchie de toute gêne nous dégoûtent parfois d’une liberté, qui semble inséparable de la licence, le spectacle offert par les États où elle est trop incomplète est bien fait pour nous réconcilier avec la liberté de la presse.

Deux raisons font qu’à nos yeux l’émancipation de la pensée aurait, en Russie, plus d’utilité et moins d’inconvénients que dans la plupart des autres États. La première, c’est qu’il n’y a pas de question dynastique, pas de lutte sur la forme même du gouvernement ; c’est que, l’immense majorité de la nation étant, dans toutes les classes, d’accord sur le principe de l’autorité, il ne peut y avoir, en dehors des extrémités du parti révolutionnaire, d’opposition systématique et purement négative. La seconde raison, c’est que, sous le régime autocratique, la presse est le seul moyen qu’ait le pays d’influer sur son gouvernement, et presque le seul moyen qu’ait le pouvoir de connaître les vœux et les besoins de la nation. Plus puissant est le gouvernement, et moins il doit redouter les indiscrétions, les témérités, les attaques même de la presse ; car il reste tou-