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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/539

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tionnaires et le dilettantisme radical, il n’en reste pas moins, chez presque tout ce qui est indépendant par position ou par caractère, chez tout ce qui n’est pas personnellement intéressé aux abus, un ferment de vague libéralisme que le gouvernement est le premier à confondre avec la révolution.

Il n’y a peut-être pas de pays où l’esprit d’opposition soit si répandu. Les classes ailleurs réputées conservatrices ou dirigeantes en sont toutes plus ou moins imbues. La haute noblesse et les hauts fonctionnaires se maintiennent d’ordinaire prudemment dans les limites d’une fronde moqueuse ; mais la petite noblesse et la bourgeoisie naissante, les rangs inférieurs du tchinovnisme et les enfants du bas clergé ont été pour les agitateurs une pépinière inépuisable. C’est dans les régions de l' intelligence qui confinent au peuple, dans les classes besogneuses et à demi instruites, que la propagande révolutionnaire fait le plus de prosélytes. Cela est naturel : au malaise moral, aux souffrances intellectuelles, s’ajoutent chez elles la gêne matérielle et les difficultés de la vie quotidienne ; aux généreuses révoltes de l’esprit contre les injustices ou les inconséquences d’un régime d’arbitraire, se mêlent les rancunes et les rébellions intéressées de l’égoîsme contre les vices apparents ou réels d’un ordre social qui, d’un grand et fertile empire, semble faire le pays de la misère.

Les écoles, le lecteur le sait déjà, ont été les principaux foyers du radicalisme, et plus haute était l’école, plus révolutionnaire était l’esprit des jeunes gens qui en sortaient[1]. Cela encore n’a rien qui puisse surprendre, l’instruction ouvrant fatalement la jeunesse à des aspirations que le régime du pays ne pouvait satisfaire. À cet égard,

  1. Ici encore la statistique donne des renseignementB curieux. Dans ce peuple dont l’immense majorité est illettrée, on ne trouve guère qu’un illettré sur 100 parmi les révolutionnaires avérés. Dans le nombre des conspirateurs, 80 pour 100 avaient reçu une instruction supérieure ou secondaire, la plupart dans les écoles du gouvernement. Mêmes résultats pour les femmes.