Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/540

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le pouvoir ne saurait se faire illusion : par les besoins qu’elles fomentent, par le goût de l’investigation qu’elles provoquent, par la confiance dans le droit et la raison qu’elles inspirent, par les curiosités qu’elles éveillent et les comparaisons qu’elles suggèrent, la science et l’instruction, de quelque surveillance qu’on les entoure, prédisposent invinciblement à la critique, au libre examen, par suite au libéralisme, à l’esprit d’innovation. À ce titre les sujets d’un autocrate seront d’aulant moins sûrs que leur horizon intellectuel sera moins borné. Le gouvernement impérial l’a vaguement senti ; de là, malgré son noble désir de relever le niveau intellectuel de la nation, ses fréquentes velléités restrictives vis-à-vis de la science, des universités, des écoles. Nicolas, on le sait, avait systématiquement réduit le nombre des étudiants, et mutilé l’enseignement. Alexandre II s’était fait honneur en ne suivant pas un pareil exemple ; mais, en dépit de tous les encouragements officiels qui lui sont prodigués, la science, ses interprètes et ses écoles sont, pour le gouvernement, demeurés plus ou moins suspects. Il n’en saurait être autrement ; cette suspicion, mal déguisée derrière des règlements vexatoires et une jalouse tutelle, ne pouvait manquer d’indisposer les maîtres et les élèves. Plus étroite a été la direction imprimée aux études, et plus défiante a été la jeunesse. Nous avons déjà mentionné l’échec politique du classicisme et l’insuccès des diverses méthodes pédagogiques successivement prônées par les divers ministres[1]. Classique ou « réale », imprégnée de l’idéalisme antique ou du naturalisme moderne, toute science devait fatalement mettre en relief les antinomies de la vie russe, et échouer dans la tâche de former des sujets à l’autocratie. Pour cela il fallait l’ancienne éducation de famille, toute superficielle, toute de forme et de mode.

En tout pays semblable à la Russie, la diffusion de l’in-

  1. Voyez tome I, livre III. chap. iv.