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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/541

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struction eût d’abord tourné au profit de la révolution ; mais ce phénomène a été singulièrement accentué par les conditions de l’enseignement russe. Je ne parle pas seulement des vexations imposées aux maîtres ou aux élèves, des règlements tyranniques de certains ministres, de l’avilissement des corps universitaires, de l’attrait fascinateur donné par la censure aux écrits et aux écrivains prohibés : je parle de l’organisation générale de l’enseignement et des particularités scolaires propres à l’empire. D’abord, la Russie, où jadis l’instruction était presque entièrement domestique, est peut-être aujourd’hui le pays où l’enseignement, secondaire et supérieur, éloigne le plus de la famille. Cette transformation, à laquelle ont également contribué les exigences des programmes gouvernementaux et le petit nombre des écoles, le renchérissement de la vie et la compétition universelle, a pour premier effet le relâchement des liens de famille et, par suite, le manque de direction de la jeunesse, privée de ses guides naturels. L’instruction est séparée de l’éducation ; la jeunesse livrée à ses rêves, à ses découragements, à ses exaltations ; et cela est presque aussi vrai des jeunes filles que des jeunes gens. Le mal, à cet égard, est d’autant plus sensible que la femme russe est plus avide d’apprendre, que la Russie est peut-être aujourd’hui le pays où il y a le moins de différence entre les aliments intellectuels donnés aux deux sexes, et que, dans son appétit de savoir, l’esprit féminin, mis subitement à un régime parfois trop substantiel pour lui, en ressent une sorte d’inflammation.

Il y a bien, dans les villes de quelque importance, des externats pour les filles comme pour les garçons ; mais dans ces « gymnases » un grand nombre des élèves, originaires de la campagne ou des petites villes, ont dû, pour étudier, quitter la maison paternelle ; ils vivent en pension chez des logeurs, ou s’entassent dans des phalanstères souvent communs aux deux sexes. Encore si ces étudiants et étudiantes, sans attaches morales avec la société qui les