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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/561

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CHAPITRE II


Évolution et organisation du parti révolutionnaire. — Du socialisme an terrorisme. — Comment les « nihilistes » voulaient d’abord s’en tenir à une propagande pacifique. Motifs qui les ont poussés à se mettre en guerre avec le gouvernement. — Formation du groupe terroriste et congrès de Lipetsk. Scission du parti en deux fractions. — Comment le « nihilisme » est passé de la question sociale à la question politique. — Les conspirateurs et le « comité exécutif ». — Leurs moyens d’action. — Leurs ressources financières. — Erreurs et préjugés à ce sujet.


Des masses d’une ignorance opaque et d’une fabuleuse crédulité, ayant dans le souverain une aveugle et enfantine confiance, et, au-dessus du peuple, s’agitant à sa surface, des jeunes gens étrangers à ses mœurs et à ses besoins, à peine compris de lui, s’efforçant en vain de le décider à prendre de force ce qu’il s’obstine à attendre du tsar : telle est la Russie depuis quinze ans, ou mieux depuis l’émancipation des serfs. L’effervescence révolutionnaire de la jeunesse et de « l’intelligence » ne pouvant pénétrer dans le peuple qu’à l’aide de fallacieuses rumeurs ; — un empire trop étendu, une population trop dispersée, une bureaucratie trop puissante, pour permettre aisément une de ces surprises qui ailleurs renversent un gouvernement en quelques journées ; — trop peu de grandes villes pour tenter une révolution populaire ; point de Paris pour l’imposer ; dans la capitale même, pas de peuple pour en faire une ; — les seules révolutions possibles semblant aujourd’hui, comme au xviiie siècle, celles dont les révolutionnaires ont le moins le secret et dont ils profitent le moins, les révolutions de palais ; et celles-là même, le pays en ayant depuis trois générations perdu la tradition ;