Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/562

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telles étaient les perspectives qui s’offraient aux ennemis du pouvoir.

S’ils s’examinaient eux-mêmes, s’ils dénombraient leurs forces et leurs alliés, qu’étaient les hommes qui prétendaient s’emparer de vive force d’un empire de cent millions d’âmes ? Quelques centaines, quelques milliers de jeunes gens au plus, sans expérience, sans position dans l’État, sans influence sur la société ; des inconnus, pour la plupart incompris et mal vus du peuple. Quels étaient leurs ressources, leurs moyens d’action ? Des pamphlets, des brochures manuscrites ou imprimées, chez un peuple dont la grande masse ne sait pas lire. Et quoi encore ? Le bras de quelque sicaire, des balles et des bombes, de quoi tuer un empereur, non de quoi tuer l’empire. On l’a bien vu lors de l’assassinat d’Alexandre II ; les conjurés n’ont tenté aucun effort pour s’emparer du gouvernement. Ils ne se faisaient aucune illusion ; jusque dans la surprise et le désarroi d’une succession imprévue, leur main ne se sentait pas la force de saisir le pouvoir. Les adversaires du tsarisme ne pouvaient mieux, dans leur sanglant triomphe, confesser leur faiblesse. En vain l’aveugle enthousiasme de la jeunesse, l’indifférence ou la désaffection de la société, l’impopularité de la police et la corruption administrative leur avaient-ils offert, pour leur propagande et pour leurs complots, des facilités que ne leur eût présentées aucun autre État de l’Europe. En vain avaient-ils été admirablement servis par les contradictions et par les maladresses du pouvoir ; en vain leurs plus audacieux attentats avaient-ils eu longtemps le bénéfice de l’impunité. Ils ont pu renverser le tsar dans les rues de la capitale, mais non s’emparer d’un ministère ou d’un hôtel de ville. Il ne leur a servi de rien d’avoir des complices parmi leurs adversaires officiels et des auxiliaires dans les rangs des troupes ou de la marine. Après quatre ou cinq ans d’efforts incessants, de miracles d’audace, d’énergie, d’abnégation, ils n’ont abouti qu’à fournir des armes aux enne-