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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/563

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mis du progrès et à faire infliger au pays des rigueurs inouïes.

Est-ce ]à ce qu’espéraient les promoteurs de ce duel barbare ? Non assurément ; on ne saurait dire pourtant que leur confiance ait été trompée. Si juvénile que parût la présomption des agitateurs, si exaltée que fût leur ferveur révolutionnaire, bien peu, à l’heure où ils ont engagé cette lutte inégale, se sont fait assez d’illusion pour se flatter d’un triomphe immédiat.

À ce sujet aucun doute. Les « nihilistes » n’ont pas, de propos délibéré, jeté le gant à l’autocratie. C’est à leur corps défendant, pour ainsi dire, qu’ils se sont attaqués au trône, qu’ils ont fait appel à la dynamite. Loin de prétendre effectuer, à l’aide du tsaricide, une révolution soudaine, ils s’étaient longtemps flattés de préparer à loisir la révolution future. Les difficultés de l’exécution ne leur échappaient point ; avant de mettre la Russie en feu, ils eussent voulu amasser patiemment toutes les matières combustibles dispersées à la surface du pays. Bien plus, loin d’être les ennemis jurés du tsar, les « nihilistes » n’eussent demandé, pour la plupart, qu’à vivre en paix avec l’autocratie, sauf à s’en servir un jour au profit de leurs songes.

Cela a beau sembler un paradoxe, c’est une vérité mise en lumière par les faits et les révélations de vingt procès. Le « nihilisme » n’a engagé la lutte avec l’autocratie que le jour où a été interdite sa propagande socialiste. Comme le moujik, nombre des novateurs n’eussent rien tant souhaité que de voir le tsar se faire l’exécuteur de leurs rêves. C’est quand ils ont vu que, loin de rester neutre vis-à-vis d’eux, la couronne était résolue à réprimer leurs prédications populaires, qu’ils se sont décidés à porter leurs coups jusqu’à elle.

Qu’on prenne les actes du procès des tsaricides en 1881 ; qu’on lise les déclarations des principaux conjurés, de Jeliabof et de Sophie Pérovsky notamment, deux âmes hau-