Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/564

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taines dont l’orgueilleuse inflexibilité ne s’est démentie ni devant les juges ni devant le bourreau. Que dit Sophie Pérovsky ? — Que, voulant relever le niveau moral etéconomique du peuple, les socialistes s’étaient dispersés dans les bourgades et les villages pour y semer les germes de leur doctrine. « C’est seulement, affirme-t-elle, lorsque les mesures répressives du gouvernement eurent rendu cette propagande impossible que, après de longues hésitations, le parti fut obligé d’engager la lutte contre les institutions actuelles de l’empire, comme étant le principal obstacle au but du parti. » Et encore, d’après Sophie même, la majorité des socialistes blâmaient cette conduite ; l’acharnement déployé contre la vie d’Alexandre II tenait à la conviction « qu’on ne pouvait espérer de ce prince aucun changement dans son altitude vis-à-vis du parti socialiste ni dans sa politique intérieure[1] ».

Jéliabof, Kibaltchich, Ryssakof, tous les complices de S. Pérovsky, comme en 1882 le lieutenant Soukhanof et ses coaccusés, ont tenu un langage analogue ; et leur conduite a été incontestablement d’accord avec leurs paroles. La plupart de ces régicides, les vétérans de la faction du moins, c’est-à-dire ceux qui approchaient de trente ans, avaient durant des années pris part à la propagande pacifique dans les villages ou les ateliers.

Grâce à d’innombrables procès, il est facile de suivre les différentes phases du mouvement révolutionnaire. Longtemps, de 1871 ou 1872 notanunent à 1878, les socialistes des deux sexes mettent tout leur zèle à « se mêler au peuple », à le catéchiser, à lui inculquer leurs principes. Ils procèdent par petits groupes, dispersés sur la surface de l’empire, sans nouer aucune conjuration contre le gou-

  1. Déclarations de Sophie Pérovsky relatées dans l’acte d’accusation : Soud nad Tsaréoubiitsami. Saint-Pétersbourg, 1881, p. 35. Comparez les dépositions de Goldenberg, le jeune conspirateur juif qui s’est suicidé dans sa prison en 1880, après s’être décidé à faire des révélations pour mettre fin, disait-il, à une lutte sanglante et sans issue.