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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/581

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les attentats les plus coûteux qui sont les plus redoutables.

Ni la perte de leurs plus dévoués et plus hardis collaborateurs, ni l’apparente inutilité de leurs crimes les mieux réussis, n’ont abattu les révolutionnaires ou ne les ont dégoûtés des sanguinaires procédés du terrorisme. Chose triste à dire, l’horreur et la réprobation provoquées par l’inhumanité de leurs moyens d’action se sont affaiblies avec la fréquence même et la cruauté de leurs sauvages exploits. Le sens de l’indignation s’est par l’habitude singulièrement émoussé chez la plupart des spectateurs. On n’est plus surpris, on ne serait plus révolté de rien. Si les terroristes se vantaient en affirmant au tsar que le régicide était devenu populaire[1], nombre d’hommes et de femmes ont fini par croire tout permis contre un pouvoir qui lui-même ne s’interdit rien et n’admet aucun moyen de lutte légale.

Les précoces déceptions d’un règne dont on s’était tant promis, la lassitude d’une société sans direction qui aujourd’hui plus que jamais cherche sa voie à travers un brouillard d’idées[2], l’impossibilité manifeste de maintenir indéfiniment l’ordre de choses actuel, et la difficulté presque aussi évidente de le remplacer, l’espèce d’anarchie intellectuelle et morale où est plongé le pays, sont bien faits pour soutenir l’espoir des révolutionnaires et leur persuader que, personne ne sachant les prévenir, la victoire finira par leur rester.

On sait que les héritiers des assassins d’Alexandre II n’ont pas craint de signifier à Alexandre III les conditions auxquelles ils consentiraient à désarmer. On sait que, dans leurs ultimatums au tsar, ils exigeaient comme préliminaire de toute pacification une amnistie générale et la convocation d’une assemblée nationale[3]. Si l’autocratie ne

  1. Déclaration du comité exécutif, Narodnaïa Volia, 12-24 mars 1881.
  2. Expression empruntée à une lettre de G. Samarine.
  3. Narodnaïa Volia, mars 1881 et mars 1882.