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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/582

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se résignait pas à abdiquer devant leurs menaces, ils avaient la prétention de l’user, de la discréditer, de la paralyser, en attendant l’heure de la renverser. L’audace des espérances de certains révolutionnaires allait même à cet égard fort loin. « À Pétersbourg, me disait un réfugié, dès 1882, ils se vantent d’être bientôt en état d’établir une commune. » Si téméraires ou insensés que paraissent de tels rêves, en présence du faible effectif des soldats de la révolution, ils montrent que leur confiance n’a pas décru depuis le meurtre stérile d’Alexandre II.

L’hostilité du peuple ne les effraye plus ; s’ils n’osent se flatter de gagner les masses, ils comptent les trouver bientôt indifférentes. La multitude même des troupes dont dispose l’autorité autour de la capitale, l’une des plus militaires de l’Europe, ne leur paraît pas un obstacle insurmontable. L’exemple de Pestel et des conspirateurs de 1825 n’a pas été perdu pour eux. Ils ont plusieurs fois déjà recruté des complices dans l’armée de terre et de mer ; ils se promettent d’y étendre peu à peu les ramifications de leurs complots. Ils se flattent d’y trouver un jour moins des adversaires que des auxiliaires, si bien que beaucoup mettent leur espoir dans un coup d’État militaire[1].

Ce qu’ont de chimériques de pareilles espérances l’ascendant moral reconquis par l’autocratie sous l’empereur Alexandre III semblerait devoir en convaincre les plus obstinés. L’amour traditionnel du peuple pour le tsar n’est pas le seul rempart qui défende le trône contre les bombes des fauteurs de complots. Un autre sentiment non moins fort au cœur des Russes veille au salut du tsar et de la

  1. C’est de ce côté que semblent surtout s’être portés les efforts des révolutionnaires sous Alexandre III. On en trouve la preuve dans différents procès politiques. En oct. 1885 notamment, sept officiers de toute arme et de tout grade, un lieutenant-colonel entre autres, ont été convaincus d’être affiliés aux terroristes. La propagande révolutionnaire dans l’armée est, du reste, facilitée par les abus de l’administration militaire, par l’esprit des écoles spéciales, par l’insuffisance de la solde des officiers et aussi par l’infériorité sociale et mondaine de l’armée vis-à-vis de la garde impériale.