Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/603

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rait être autrement : à toutes ses instances, l’autorité ne pouvait obtenir d’autres réponses que de vides et banales protestations de dévouement, que de pompeuses et insignifiantes adresses officielles. À quoi bon rappeler ce qui s’est passé sous Alexandre II, alors que tous les corps constitués de l’empire, assemblées provinciales, assemblées municipales, assemblées de la noblesse, déposaient aux pieds du souverain, en butte aux plus odieux attentats, le fastueux et inutile témoignage de leur affection ? Comme l’ont respectueusement fait entendre quelques-uns des zemstvos, la société, avec les liens dont elle est chargée, est impuissante à prêter à l’autorité aucun concours efficace. Pour que la nation vienne en aide au tsar, il faut lui en donner les moyens, il faut lui délier les mains, lui ouvrir la bouche.

Et cela n’est possible qu’à l’aide d’institutions permanentes et organiques, qu’avec une participation normale et régulière de la société à la chose publique. L’élargissement même des attributions des assemblées provinciales n’y saurait longtemps suffire. De ces états provinciaux (zemstvos) ou d’ailleurs, il faudrait faire sortir une représentation nationale, car, dans leur dispersion et leur faiblesse actuelle, ces zemtsvos n’en sauraient être qu’une monnaie, dépréciée d’avance.

La liberté, nous tenons à le répéter, ne saurait étouffer l’esprit révolutionnaire ; à certains égards même, elle lui fournirait des armes, mais ce serait pour lui arracher les flèches empoisonnées ou les balles explosibles et y substituer des armes plus loyales : ce serait pour faire succéder à une guerre de sauvages, à une guerre de pièges et de guet-apens, une lutte civilisée, en rasecampagne, où la victoire ne saurait manquer de rester aux troupes les mieux équipées, les plus nombreuses et les mieux conduites.