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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/607

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surrection militaire de décembre 1825, à l’avènement de Nicolas.

En dehors du moyen âge et des souvenirs moscovites, on peut découvrir dans la Russie moderne un secret courant de libéralisme qui, borné d’abord à quelques privilégiés, mal dirigé et présumant de ses forces, a grossi peu à peu, d’année en année, et deviendra tôt ou tard assez puissant pour emporter tout ce qui lui fait obstacle. Le fond du peuple est sans doute encore loin d’éprouver de pareilles aspirations, il aura même d’abord de la peine à s’y associer. Pour lui, le nom exotique de constitution (konstitoutsia) résonne comme un mot étranger, comme une inintelligible énigme ; de même qu’en décembre 1825, bien des Russes seraient capables de demander : Quelle femme est-ce là[1] ? Peu importe, cette ignorance se dissipe tous les jours ; les idées de liberté pénètrent peu à peu et, en Russie comme ailleurs, elles ne peuvent que croître avec le progrès des lumières, de la richesse, du bien-être. À cet égard, les abus de l’administration et la propagande révolutionnaire travaillent dans le même sens. Grâce à cette active coopération, ce qui était une chimère en 1815 et en 1825, ce qui était encore prématuré vers 1860, ne l’est déjà plus au déclin du dix-neuvième siècle. Au vingtième siècle il serait peut-être trop tard.

Presque tout le monde en Russie serait d’accord sur l’opportunité d’un changement de régime, si l’on savait comment remplacer l’état de choses actuel sans se jeter dans des imitations redoutées des uns et répugnant aux autres. S’ils souhaitent des libertés publiques, la plupart des Russes voudraient qu’en cela leur patrie pût être originale, et de quelle façon l’être ? Un peuple qui en pareille matière sentirait bien sa propre originalité se préoccuperait moins sans doute d’en faire preuve. J’ai rencontré

  1. On raconte que lors de l’insurrection de décembre 1825, faite au nom de Constantin, frère aîné de Nicolas, quelques officiers ayant crié : Vive la constitution ! les soldats crurent que c’était la femme du grand-duc.