Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/623

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jours bien gardé. D’autres fois, on m’a interrogé sur les modèles qu’offrait l’étranger. « Quel serait à votre avis ce qui nous conviendrait le mieux ? me demandait dans un salon une femme politique, comme la Russie en possède plusieurs ; ne serait-ce point la constitution de l’an VIII ou encore votre constitution de 185S ? » À semblable question on ne peut faire qu’une réponse : si en pareille matière il est puéril de se piquer d’originalité, il ne serait guère plus raisonnable d’aller copier de toutes pièces l’étranger. Le pays gagnerait peu à voir l’antique autocratie se travestir en césarisme à la Napoléon. D’un autre côté, le parlementarisme bureaucratique, tel qu’il est pratiqué en certains États de l’Occident, n’est assurément pas fait pour être érigé en modèle. Dans la Russie à peine émancipée du servage, le parlementarisme du reste risquerait fort de n’être qu’une utopie ou un trompe-l’œil. Les éléments même en paraissent faire défaut. Avec la séparation morale et l’isolement réciproque des diverses classes qui encore aujourd’hui ont besoin d’un arbitre commun, placé au-dessus de leurs préjugés et de leurs intérêts particuliers, avec les habitudes patriarcales des masses, il ne saurait guère être question de gouvernement des partis et des majorités. Sur ce point les adversaires des réformes politiques peuvent avoir raison ; c’est en ce sens que, tout en entrant dans le cercle des États constitutionnels, la Russie doit se garder de se modeler de but en blanc sur les États les plus avancés, se garder de rompre brusquement avec la tradition nationale ou l’instinct populaire[1].

Transférer soudainement le pouvoir des conseillers de la couronne aux chefs de partis ou aux leaders des majorités, déclarer tout d’un coup irresponsable l’héritier de quatre ou cinq siècles d’autocratie, ne serait probablement

  1. Voilà ce que me semblent avoir trop perdu de vue la plupart des projets de constitution imaginés par les Russes, entre autres l’ingénieux programme publié en 1882 par le groupe de l’Union des zemstvos : Politicheskaïa programma obchlchestva : semskii soious.