Aller au contenu

Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/624

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’une vaine et dangereuse fiction. En politique comme en architecture, l’édifice le mieux conçu est celui dont l’extérieur répond le mieux au dedans, dont la façade et les profils indiquent le mieux la disposition. Pour la Russie, la meilleure constitution sera celle qui, tout en faisant à la nation une part effective dans l’étude et la direction de ses propres affaires, reconnaîtrait au pouvoir des prérogatives dont ni oukaze ni charte ne sauraient de longtemps le dépouiller. Rien ne serait plus regrettable que de chercher à en imposer au pays ou à l’Europe par des dehors menteurs et des façades de pure décoration. Quelles que soient les formes adoptées, deux choses à nos yeux restent certaines : l’une, c’est que, pour faire quelque chose d’efficace, le pouvoir ne devra pas procéder d’une main trop parcimonieuse, mais aller du premier coup au bout des concessions qu’il croira pouvoir faire ; la seconde, c’est que plus tard le trône admettra la nation à participer au gouvernement, plus grande il devra lui faire la place.

Il y a en histoire naturelle deux théories rivales dont je ne veux pas apprécier la vérité, mais que je crois pouvoir appliquer à la politique et aux libertés constitutionnelles. Selon l’une, la plus ancienne et la plus vulgaire, c’est l’organisme qui crée la fonction ; selon les novateurs, c’est plutôt la fonction et le besoin qui engendrent l’organe. On peut en dire autant de la politique ; là surtout, c’est au besoin à créer l’organe, c’est à l’exercice de l’approprier au milieu ; mais là aussi l’organe, à son tour, réagit singulièrement sur la fonction et stimule le besoin dont il est né. Le meilleur moyen de mettre un pays en état de se gouverner lui-même, c’est de lui en fournir l’occasion. Une fois pourvue d’organes de self-government, la Russie, comme tout autre peuple vivant, les adaptera peu à peu à ses instincts et à son génie.

Longtemps les Russes les plus éclairés ont été peu enclins à hâter de leurs vœux l’heure où la nation serait