Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/625

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mise en possession de droits politiques. L’exemple d’autres pays dotés prématurément d’institutions libres, de parlement et de ministres responsables, l’exemple de l’Espagne, le nôtre même, leur paraissaient peu encourageants. Quelques mois avant la dernière guerre de Bulgarie, un Russe intelligent et libéral me répondait à ce sujet : « La constitution, ce sera pour le prochain règne ; mieux vaut pour la Russie que cela vienne quinze ans trop tard que quinze ans trop tôt ». Ces paroles semblaient d’un sage, et moi-même, je l’avoue, j’en admirais la prudence et en admettais la justesse. Sommes-nous sûrs aujourd’hui de la vérité d’une telle maxime ? Les événements m’en ont depuis fait douter. L’agitation tumultueuse de la jeunesse, l’irritabilité nerveuse toujours croissante de la société, l’impossibilité manifeste de demeurer toujours dans le statu quo, et la difficulté d’en sortir sous la pression des menaces révolutionnaires, font qu’on se demande malgré soi si, au lieu d’attendre que l’heure des réformes politiques eût bruyamment sonné, il n’eût pas mieux valu la devancer.

Avec l’ascendant traditionnel que possédait le pouvoir impérial, avec le prestige dont restait entouré, avant la double déception de Plevna et de Berlin, le libérateur des serfs, il y eût eu, pour le présent comme pour l’avenir, moins d’inconvénients pratiques à prévenir les vœux du pays.

Les excitations et les désillusions de la guerre de Bulgarie, l’implacable campagne des terroristes, le désarroi d’un gouvernement sans direction, condamné à user stérilement l’un après l’autre tous les conseillers, ont singulièrement mûri la question, si ce n’est la nation. Les classes cultivées, la société et l’intelligence peuvent arriver à ce point, où, pour tromper leur appétit de réformes et de liberté, le gouvernement impérial n’aura d’autres ressources que des diversions extérieures, d’héroïques aventures pour lesquelles la Russie n’est prête ni diplomati-