Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 3, Hachette, 1889.djvu/620

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L’étouffement de l’Union avertit les catholiques du sort réservé aux trois millions de Ruthènes d’Autriche-Hongrie le jour où ils tomberaient sous la domination russe. Cela est fait pour mettre en garde la curie romaine contre l’introduction du rit oriental ou de la langue slave dans les églises catholiques. On sait que des Croates, des Slovènes, des Tchèques, voudraient substituer, dans la liturgie, le slavon au latin. Le pape Léon XIII a fait cette concession au Monténégro. Si le Vatican hésite à accorder à d’autres la même faveur, les leçons russes n’y sont pas étrangères. Les Tolstoï et les Pobédonostsef lui font craindre que le slavon ne fraye la voie au schisme.


La Russie, qui traque si durement les derniers uniates, s’unira-t-elle un jour elle-même à Rome ? Il est des catholiques, il est des Russes même qui n’en désespèrent point. Le grand patriote slave, l’évêque Strossmayer, n’est pas seul à l’avoir rêvé. Un Moscovite orthodoxe, M. Vladimir Solovief, y voit la vocation providentielle de la Russie. N’est-elle pas manifestement prédestinée à réconcilier l’Orient et l’Occident, et, comme le voulaient Aksakof et les slavophiles, à fonder une culture chrétienne vraiment œcuménique, ni latine, ni byzantine ? Elle est la « troisième Rome » qui doit réunir en elle les deux autres. À elle de faire tomber le mur huit ou neuf fois séculaire qui coupe en deux l’Église. Ainsi seulement s’accomplira la mission universelle qu’elle aime à s’attribuer[1]. Rapprocher les deux Églises, ce ne serait pas abandonner la tradition slave, ce serait la renouer, car Cyrille et Méthode, les frères apôtres dont les Slaves, grecs ou latins, fêtaient à l’envi le dixième centenaire, étaient en communion avec Rome, et Rome garde encore les os de saint Cyrille.

À l’Union, la Russie, peut-on dire, trouverait un avantage

  1. Vladimir Solovief : Istoriia i Boudouchtchnost Teokratii, Agram, 1887 ; — L’idée russe, Paris, 1888 ; — La Russie et l’Église universelle, Paris, 1889. — Cf. O tserkvi, istoritch, otcherk, ouvrage anonyme, Berlin, 1888.