Page:Andersen - Contes danois, trad. Grégoire et Moland, 1873.djvu/30

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Ni elle ni les autres ne purent me faire dire ce qui m’était arrivé. « Il aura vu un revenant, » dit une femme, et l’explication satisfit tout le monde et moi-même.

« Ma mère se remaria avec un artisan dont la famille blâma cette union trop peu avantageuse et ne voulut recevoir ni ma mère ni moi. Mon beau-père était un jeune homme tranquille qui n’entreprit nullement de se mêler de mon éducation. Aussi ne vivais-je plus que pour mon théâtre ; j’étais constamment occupé à rassembler des chiffons de couleur que je coupais et cousais pour mes marionnettes. Ma mère voyait là un exercice utile, et croyait qu’il indiquait que j’étais né pour être tailleur. J’en concluais au contraire que j’avais des dispositions pour le théâtre et que je devais être un jour comédien. À ceci ma mère s’opposait formellement. Elle ne connaissait en fait de gens de théâtre que les histrions ambulants et les danseurs de corde, personnages de mince réputation. Force était donc d’apprendre l’état de tailleur et d’entrer en apprentissage. La seule chose qui me réconciliât avec cette profession, c’était qu’elle me procurerait sans doute beaucoup de morceaux de drap pour les costumes de mes poupées.

« Ma belle voix, la mémoire dont je faisais preuve en retenant par cœur des scènes entières de pièces de théâtre, avaient attiré sur moi l’attention de plusieurs familles distinguées de la ville. Elles prirent goût à ma personne bizarre et m’admirent chez elles, la plupart pour se divertir. Toutefois le colonel Hoegh Guldberg et sa famille me témoignèrent un véritable intérêt :

« J’étais devenu un grand garçon ; ma mère ne voulait plus me laisser sans direction et sans but. J’allai à l’école