Page:Andersen - Contes danois, trad. Grégoire et Moland, 1873.djvu/42

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l’argent de mon mois était remis d’avance à la veuve. Cependant, quand je lui faisais des commissions, elle me donnait parfois une petite pièce de monnaie. Je l’employais à m’acheter du papier ou quelque vieille comédie.

« J’étais, en somme, fort heureux. Guldberg avait décidé Lindgreen, le premier comique du Théâtre-Royal, à me donner des leçons de déclamation. Celui-ci me fit apprendre des rôles de niais dans Holberg, pour lesquels j’avais, disait-on, un talent naturel. Mais mon ambition était plus haute : je voulais jouer le Corrége de la pièce d’OEhlenschlaeger. Lindgreen me laissa faire. Je récitai le fameux monologue avec tant de sentiment que, me frappant sur l’épaule, il me dit : « De l’âme, vous en avez certes ; mais vous n’êtes pas né pour être comédien. Parlez donc à Guldberg de vous faire apprendre un peu de latin. Vous pourriez de la sorte devenir étudiant. »

« Moi, étudiant ! Jamais l’idée ne m’en était venue. J’aimais bien mieux le théâtre. Pourtant il n’y avait pas de mal à apprendre un peu de latin. En effet, un ami de Guldberg se chargea de me donner quelques leçons par semaine.

« Dahlen, le premier sujet de danse, dont la femme était alors une de nos principales actrices, m’accueillit dans sa maison. Il m’emmenait parfois à son école de danse et pendant des heures me faisait faire des pliés, tendre la jambe, etc. Malgré ma bonne volonté, il me déclara bientôt que je ne m’élèverais jamais au delà du rôle de figurant. En revanche, la connaissance de cet artiste m’avait procuré l’avantage immense, à mes yeux, de pouvoir entrer dans les coulisses. Il me semblait, grâce à ce privilège, que je faisais déjà partie du théâtre.