Page:Andersen - Contes danois, trad. Grégoire et Moland, 1873.djvu/43

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« Un soir qu’on donnait les Petits Savoyards, dans le tableau du marché, tout le personnel, même les machinistes, montèrent sur la scène pour faire nombre. Voyant cela, je mis un peu de fard, et, rempli de joie, je me joignis à toute la troupe. Je portais mes vêtements ordinaires, c’était toujours mon habit de confirmation qui était encore propre, mais bien râpé, et toujours le grand chapeau qui me descendait jusqu’aux yeux. Je savais maintenant que je n’étais pas de la dernière élégance ; j’avais quelques précautions à prendre : j’étais obligé, par exemple, de ne pas trop redresser mon corps long et maigre, afin que mon gilet devenu trop court ne produisit pas une solution de continuité dans ma toilette. Tout cela ne me rendait que plus gauche.

« Je sentais bien qu’on pourrait se moquer de moi : le bonheur de me montrer pour la première fois devant la rampe me fit tout braver. Entraîné, le cœur palpitant, j’arrivai sur la scène. Un des premiers chanteurs d’alors, dont on a oublié le nom aujourd’hui, m’aperçut, vint à moi, me prit par la main, et, m’attirant plus en avant, il me dit d’un air goguenard : « Voulez-vous que je vous présente au public danois ? » Je prévis qu’on allait rire de moi, je retirai brusquement ma main de la sienne, et quittai la scène, les larmes aux yeux.

« Bientôt après, Dahlen monta un ballet où il me donna un petit bout de rôle : j’y figurais un démon. La future grande actrice, femme du poète Heiberg, qui était alors une toute petite fille, paraissait aussi dans le ballet : nos deux noms étaient imprimés sur les affiches et sur les programmes. Mon nom imprimé ! quel événement dans ma vie ! J’y voyais un gage d’immortalité. Je ne cessais de considérer