Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, III.djvu/130

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accueillir toutes les pensées, et que la pensée synthétique nouvelle résulterait d’une lutte, d’un ἀγὼν (agôn) de toutes les forces troubles ? Ce transformisme contre lequel Cosima prétendait défendre Wagner était la condition même de son triomphe et l’aboutissement vrai de la philosophie wagnérienne.


III. — L’Idée de la réforme panhellénique.


Cet aveuglement aurait été un médiocre mal, s’il ne se fût agi que de la vérité. Chez Nietzsche le respect de la pensée pure a peine à s’établir. Il ne croit qu’à une vérité pratique. Les philosophes grecs sont des médecins sociaux. La Grèce s’est perdue pour ne pas les avoir écoutés. L’Europe peut se perdre si elle n’écoute pas l’Héraclite nouveau, et si l’Empédocle moderne, que déjà elle respecte, se refuse à comprendre sa mission. La gravité des appels que Nietzsche adresse à Wagner sous tant de formes déguisées s’explique par cette préoccupation sociale.

Les Présocratiques ruinent l’esprit mythologique. Est-ce donc qu’ils veulent ruiner la cité, dont le mythe est l’âme ? et quelle imprudence commettent-ils là, eux, des hommes d’État ? C’est qu’ils ont le souci de faire durer la Grèce, non la cité : c’est un enchaînement. Leur pensée, en apparence abstraite, prétend fonder un hellénisme supérieur. La puissance isolante des mythes séparait les cités ; la croyance féroce des cultes les démoralisait. Deux pensées surgirent alors dans l’esprit des philosophes : 1o Fédérer les cités rivales dans une Grèce unifiée ; 2o créer une pensée et un art qui pussent régénérer le peuple en lui parlant un langage unique et épuré.

Les Ioniens, par lesquels commence la philosophie, voyaient de près le danger barbare. C’est pourquoi Thalès déjà projetait une confédération des cités grecques. Si sa