Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, III.djvu/190

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utile [1]. Sans doute nous effaçons entre les impressions les dilférences individuelles. Il n’importe, si nous retenons les ressemblances qui suffisent à nous procurer les avantages d’où dépend la vie. C’est là ce qui s’appelle connaître. La connaissance est une mémoire, mêlée d’oubli, et qui recueille des choses le souvenir de leur action utile ou nuisible. De nouveau il se fait une sélection des images, mais c’est pour des raisons pratiques. Les images dont se tissent nos rêves sont désintéressées. Celles dont est faite la perception extérieure à létat de veille nous guident dans Faction. Ce travail de sélection des images s’appelle pensée : « Denken ist ein Herausheben [2]. » Nous attachons à une image sonore, à un mot, une image effacée des choses individuelles expérimentées par nous et qui se superposent pour nous dans un souvenir condensé, confus, inexact, mais utile. C’est là former un concept.

Ce travail est nécessaire pour que nous ne nous perdions pas dans la fuite des impressions. Les mots sont comme des flotteurs, auxquels nous nous confions dans le remous tumultueux des images. Y a-t-il un rapport de ces mots au réel ? L’opération qui a été faite est de classement pur. Elle consiste à ranger sous des mots identiques des images qui sont simplement analogues [3] ; c’est-à-dire à confondre le différent dans l’identique par la plus audacieuse des métonymies. Or les sensations elles-mêmes étaient déjà des métaphores, au regard de la réalité inconnue qu’elles traduisent. À l’origine de toute connaissance il y a donc un enchevêtrement de sophismes grossiers et continus. Une armée mobile de métonymies et de métaphores, de mythes, pour tout dire, voilà notre

  1. Theoret. Studien, § 150. (W., X, 162.)
  2. Ibid., § 63. (W., X, 134.)
  3. Theoretische Studien, §§ 131-141, 150. (W., X. 162-167, 172) ; Ueber Wahrheit und Lüge, § 1. (W., X, 198-199.)