Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, III.djvu/227

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IV. — Glissement du système.


La philosophie aboutit ainsi pour Nietzsche à une théorie de la civilisation. Cette théorie consiste, dans ses principes, à défîair par quelle sélection il peut sortir du fond impersonnel et collectif, dont est faite toute vie de l’esprit et du vouloir, une élite humaine. Dans ses visées pratiques, elle tend à hâter cette sélection. Sur ces deux points, Nietzsche ne variera jamais. Mais il avarié sur la définition de l’humanité supérieure ; et il a conçu d’une façon différente cette maturation précieuse du génie, delà sainteté et de l’héroïsme. Il paraît difficile d’admettre que « le héros de la vérité » , glorifié dans Schopenhauer éducateur, soit l’artiste pur qui, dans la Naissance de la Tragédie, était le législateur de la civilisation. La rigueur de critique et de justice, qui sont les vertus de ce héros du vrai, ouvrent l’accès d’un autre monde que celui de l’art. On sent que, dans la IIIe Intempestive, Nietzsche est arrivé à une autre idée de l’éducation. Il ne croit plus à l’éducation par les illusions salutaires dont s’enveloppe une croyance populaire guidée par les génies. Il croit à la nécessité d’envisager le réel sans le masquer, et à l’efticacité unique de l’éducation par la vérité. Un deuxième moment de la pensée de Nietzsche, le pessimisme intellectualiste, s’annonce ainsi dès 1874. Ou plutôt, ce système est comme un noyau rationaliste qui, préexistant dans le schopenhauérisme, s’est solidifié sous l’influence soit des moralistes français, soit de Darwin et des néo-lamarckiens.

Un temps viendra où cet intellectualisme, débarrassé de son enveloppe de croyances sentimentales, subsistera seul. Mais, dès 1874, Nietzsche en revient à admettre des procédés de recherche impersonnelle, qui permettent d’atteindre une vérité approchée ; et ce qu’il appellera alors vérité, c’est, comme les néo-lamarckiens le lui