Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, III.djvu/274

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elle cherchera les savants. Nietzsche met à nu la pauvreté humaine de ces grands ensembles vêtus de majesté. Il n’y a pas de vice insolent ni d’humble infirmité que les savants ne partagent avec les dirigeants ou avec les subalternes de l’État et du capitalisme. Les savants, comme les autres, vivent sur des instincts parcellaires grossis par foisonnement jusqu’à une monstrueuse pléthore,

Nietzsche a emprunté aux moralistes français [1] la rigoureuse réduction des vertus nobles à des mobiles vulgaires. Il en fit un premier essai par l’analyse d’une mentalité dont il avait fait lui-même l’apprentissage : celle du savant. Il n’aura plus qu’à appliquer cette méthode de réduction à d’autres vertus, à la vie morale tout entière, au génie artiste, à l’ascétisme religieux, et atout ce que nous respectons ; alors il écrira Menschliches, Allzumenschliches. Ainsi se vérifie ce que nous avions pu remarquer à propos de la métaphysique de Nietzsche : sa seconde philosophie est contenue déjà tout entière dans la première. Elle y est enveloppée comme un faisceau de lumière, dans un phare encore immobile, et qu’on évite de diriger sur tous les objets. Un temps viendra où Nietzsche projettera circulairement sur tout l’horizon cette lumière rationnelle.

De l’humanité trop humaine des savants, on ne sait si elle ressemble davantage à la corruption de l’État ou à la tristesse du présent régime social. Ce sont des ouvriers manuels de la pensée, des prolétaires de l’intelligence que les savants. Ils travaillent comme les paysans, pour augmenter leur pécule ou comme les ouvriers rivés à leur métier. Qu’on les écoute parler : c’est un langage de chiourme. Il s’agit de « diviser le travail », d’ « exploiter ;

  1. V. Les Précurseurs de Nietzsche, livre II.