Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, III.djvu/273

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« problème-taureau », auquel Nietzsche s’était attaqué dès le livre sur la Naissance de la Tragédie [1].

La définition de la science a varié dans Nietzsche comme sa notion du vrai. Puisque, dans sa première philosophie, savoir, c’est détruire des illusions dont s’alimentait la vie des hommes ; puisque vivre, c’est vaincre et connaître ; puisque le vivant, pour être brave, a besoin de regarder les choses d’un regard qui les embellisse et non qui les analyse, l’intelligence qui tâche de connaître ne survient donc qu’avec la défaite. Elle est un instrument donné au vivant le plus délicat, le plus infirme et le plus éphémère, pour se cramponner à l’existence une minute, et pour opérer de prudentes retraites [2]. Mais Nietzsche ne veut pas que la science nous paralyse, comme elle ferait si elle précédait l’action, pour en décomposer d’avance tous les mouvements ; et il ne veut pas qu’elle stérilise notre force, comme elle ferait si elle nous livrait, par une initiation hâtive, le secret tragique de toute vie. Il convient de ne pas détruire, par 1 abus du savoir, les chimères qui entretiennent l’audace aventureuse. Il faut discipliner la science par l’art, l’art étant la plus haute manifestation de l’instinct vital. Mais le jugement qui départage la science et l’art, en raison des services qu’ils rendent à la vie, ne peut être que le jugement du philosophe.

La pensée de Nietzsche, en mûrissant, s’imprègne d’esprit français : Sous les institutions, elle cherche les hommes. Derrière l’État, elle a démasqué les dirigeants et les fonctionnaires, et derrière le régime social les capitalistes et les ouvriers. De même, derrière la science.

  1. Préface de 1886, § 2. (W., I, 3.)
  2. Wahrheit und Lüge im aussermoralischen Sinne, § 2, posth. (W., X, 190, 204.)