Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, III.djvu/282

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combative des savants allemands de 1870, qui veulent une histoire militante.

Mais ce qui importe, dans cette grande IIe Intempestive, où, à propos d’histoire, Nietzsche fait le procès de toute science, c’est le procédé de discussion ; c’est l’art de serrer l’adversaire dans l’étau de deux thèses antagonistes, de montrer que le bon et le mauvais n’existent pas en eux-mêmes, mais sont en toutes choses une qualité que leur confère la vie qui les utilise.

1o Aider l’action : voilà le premier devoir. — Toute société, à sa tête, a une pléiade d’hommes forts, de lutteurs. Ce sont eux que la collectivité lance en avant pour triompher dans la lutte pour la vie, mais aussi dans la concurrence plus délicate et redoutable des civilisations. Or, nous savons la lourde atmosphère de bassesse qui essaie d’étouffer la grandeur humaine en marche [1]. Supposons-la donc prête, cette avant-garde, avec ce mépris de la mort qui est le gage d’une grande vie. Son combat le plus dur, ce sera cette lutte engagée contre son temps. Quel chemin plus sombre que celui qui passe par des cervelles humaines à éclairer, à persuader, à décider, quand la lâcheté et la vilenie les habitent ?

Le pessimisme de Nietzsche se guérit par un esprit de folle gageure contre la destinée. Dans ses héros et dans ses génies naissants, il veut sauver la foi. Il veut que l’histoire leur propose, les grands exemples du passé, pour se consoler et s’instruire. Ces exemples enseignent qu’il y a déjà eu des hommes qui ont traversé la vie hostile avec des attitudes de fierté, avec des pensées profondes, ou avec une pitié secourable. Ils ont péri. Mais « leur monogramme intérieur », leur marque reconnaissable,

  1. Nutzen und Nachteil der Historie, § 2. (W., I, 295-296.)