Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, III.djvu/285

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blées par des forces incidentes, et que les plus fortifiantes coutumes se fixent lentement dans l’espèce. Il en va ainsi dans la vie des hommes. Consciemment, quelques-uns se sentent dépositaires surtout des qualités héréditaires ; et, parmi les plus grands, il en est qui savent faire la part de ce qui fut accumulé pour eux parles générations. Ils aimeront à en prendre conscience, à parcourir en pensée les routes du passé, à se remémorer la forme ancienne de la maison ou de la cité des aïeux, à en conserver les moindres vestiges survivants. Ils représentent la reconnaissance de la vie envers toutes ces choses mortes qui lui ont permis de naître, et ils conservent pour les générations à venir le secret des conditions qui ont rendu cette vie possible, parce que leur âme, façonnée de souvenirs, a fini par ressembler à cette vie immobile des vieilles pierres.

Cette façon de vivre conservatrice est instructive, si elle s’élève à une conscience éclairée par l’histoire de la tradition. Les iiommes qui l’adoptent sont en plus grand nombre que ceux dont la besogne est d’avant-garde. Mais de très grands hommes et de grandes époques ont senti leur génie s’éveiller par cette lumière qui se faisait en eux sur leur passé. Il est visible que Nietzsche, sans le nommer, range Gœthe au nombre de ces grands traditionalistes [1]. La Renaissance italienne tout entière est ainsi « prolongement miraculeux de la mélodie antique » dans une conscience cultivée par l’histoire de la tradition. S’il

  1. Nutzen und Nachteil der Historie, § 3. (W,, I, 303.) « L’histoire de la ville devient pour lui sa propre histoire. Il conçoit les murailles, les portes à tourelles, les ordonnances du conseil, les fêtes populaires comme un mémorial illustré de sa jeunesse, et il retrouve dans tout cela sa force, son labeur, sa joie, son jugement, sa folie, ses écarts. » C’est le plan même de Poésie et Vérité. Le mot de Urväter-Hausrath, cité par Nietzsche, sera reconnu par tout le monde : Il est pris dans le premier monologue de Faust.