Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, III.djvu/293

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par une interprétation vécue, nous retrouvons notre vie véritable, qui est éternelle. En dehors de là, tout reste défilé d’images et de concepts. Voilà pourquoi l’histoire ne peut être une science.


III. — Le préjugé de l’humanisme.


Il y a une forme de l’histoire qui devrait unir la vertu éducative des sciences naturelles à celle des sciences historiques, mais qui devrait échapper au danger qui les menace les unes et les autres : c’est la science de l’antiquité classique, appelée par les Allemands philologie [1]. Science naturelle, puisqu’elle étudie les langues dans leur évolution psycho-physiologique, elle ne peut oublier pourtant que les langues, faites pour exprimer des pensées, ne sont pas toutes également propres à contenir toutes les qualités intellectuelles. Elle restitue la vie des grands hommes, les traditions, les révolutions des peuples anciens. Mais toute cette histoire violente n’a pour elle d’intérêt que par un petit nombre d’œuvres belles. La durée plus ou moins longue des Etats engloutis ne peut l’aveugler sur la valeur vraie d’une civilisation.

Plus que toute autre culture de l’esprit, l’humanisme devrait donc être à la fois science et art de la vie. L’humaniste, descendu dans l’Hadès du passé, en rapporte la « tête de Gorgone » de l’antiquité grecque ; et les médiocres en restent pétrifiés d’elfroi, malgré leur admiration de commande. Les grandes âmes et les grands artistes seuls savent retrouver le regard qui vivait dans ces yeux

  1. L’usage allemand appelle philologues les professeurs de lettres des gymnases et des universités. L’usage français ne comprend sous ce terme que les études de linguistique et la mise en état des documents. Wir Philologen, titre d’une Considéraiion intempestive non écrite, doit donc se traduire : Nous autres humanistes.