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CHAPITRE V


FICHTE



Entre Nietzsche et ce grand philosophe de la conscience morale, il y a d’abord le lien glorieux et fort d’une tradition scolaire : celle de Pforta, en Thuringe, où, à quatre-vingts ans de distance, ils ont tous deux reçu l’initiation classique.

Personne à Pforta ne peut rester étranger à la pensée du philosophe qui a été la gloire du collège. Nietzsche a sans doute lu peu de chose de Fichte ; mais il l’a lu de bonne heure et l’a profondément médité. Quand il dit, dans Der Wanderer und sein Schatten qu’il faut tenir Fichte pour un des pères de cet « adolescent allemand » qui a symbolisé pour lui, depuis, le moralisme le plus naïvement arrogant et inculte, Nietzsche veut dire que sa propre jeunesse a été tyrannisée par l’impérieux idéaliste[1]. Les sarcasmes tardifs qui décrivent les Reden an die deutsche Nation comme un « marécage de prétention, de confusion et de teutonisme maniéré »[2], ou qui, dans Jenseits von Gut und Boese raillent Fichte de ses « mensongères, mais patriotiques flagorneries », attestent l’effort qu’il lui a fallu pour se dégager de la redoutable influence. Dans le plan des conférences Ueber die Zukunft unserer Bildungsan-


  1. Der Wanderer und sein Schatten, § 216 (III, 316).
  2. Carnets de l’Umwertungszeit, § 846 (XIII, 340) ; — Jenseits, § 244