Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, I.djvu/187

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Ainsi Nietzsche apprend de Pascal ce qu’il retrouvera dans Spinoza : « D’abord le pouvoir force le fait. » Il est nécessaire qu’il y ait de l’inégalité parmi les hommes. Mais cela étant accordé, voilà le chemin frayé non seulement à la plus haute domination, mais à la plus haute tyrannie[1].

Quelle sera l’attitude des hommes en présence de ces forces qui les brutalisent ? Elle sera la même que devant la nature. L’être pensant plie devant la force, mais n’abdique pas la pensée. La raison appliquée aux relations entre les hommes, voilà ce que Pascal appelle justice ; et le peuple aussi est pensant en quelque mesure et exige la justice. « Il est sujet à se révolter dès qu’on lui montre que les lois ne valent rien », « qu’elles sont injustes », « car on ne veut être assujetti qu’à la raison et à la justice[2] ». Ainsi la société se trouve dans cette impasse : « Il est juste que ce qui est juste soit suivi ; il est nécessaire que ce qui est le plus fort soit suivi. La justice sans la force est impuissante : la force sans la justice est tyrannique[3]. » Comment assurer que la force soit aussi la justice ? En matière sociale, nous ne disposons pas de la vérité pure. « Chaque chose est ici vraie en partie, fausse en partie… Que dira-t-on qui soit bon ? De ne point tuer ? Non, car les désordres seraient horribles et les méchants tueraient tous les bons. De tuer ? Non, car cela détruirait la nature. Nous n’avons ni vrai ni faux qu’en partie et mêlé de réel et de faux[4]. » Et cela peut se faire voir de toutes les lois en les regardant d’un certain côté.

Voici pourtant le chef-d’œuvre de la psychologie de Pascal : entre la force qui s’impose et la raison qui se révolte, c’est l’imagination qui sera conciliatrice. « L’em-

  1. Pensées, VI, 62 ; VI, 1.
  2. Ibid., VI, 40.
  3. Ibid., VI, 8.
  4. Ibid., VI, 60.