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touchant la conduite privée de l’homme : Leçon d’austère modestie. S’il est vrai que le fond de l’homme soit besoin de dominer, c’est donc que « le moi est haïssable » toujours ; et par surcroît il veut être l’objet de l’amour et de l’estime des hommes, quand ses défauts ne méritent que leur aversion et leur mépris[1]. Notre première tâche consiste là aussi à « travailler à bien penser ». Ce n’est pas seulement une nécessité, c’est « le principe de la morale »[2]. Il s’agit d’anéantir cette haine de la vérité qui est inséparable de l’amour-propre, comme aussi cette susceptibilité aux paroles emphatiques, « au ton de voix qui impose » et qui fortifie en nous les superstitions grégaires[3]. Il faut nous regarder tels que nous sommes. Notre âme et notre corps sont « d’eux-mêmes indifférents à l’état de batelier ou à celui de duc ». Mille hasards décident de nos richesses ou de notre condition sociale ; et la critique rationnelle nous a montré combien peu de justice est attachée au respect de la fortune et du rang. « Si donc vous agissez extérieurement avec les hommes selon votre rang, vous devez reconnaître par une pensée plus cachée, mais plus véritable que vous n’avez rien naturellement au-dessus d’eux[4]. »

En quel sens faut-il donc prendre cette « parfaite égalité » de tous les hommes, dont Pascal dit qu’elle est « l’état naturel », de même aussi que, selon lui, « l’égalité des biens est juste »[5] ? Il n’allait pas jusqu’à admettre entre les hommes l’égalité d’intelligence, mais il allait jusqu’à humilier l’intelligence des plus savants devant l’ordre social considéré comme plus durable et par là plus divin. Quels seraient les chefs désignés ? Sans nul doute,

  1. Pensées, II, 8.
  2. Ibid., I, 6.
  3. Ibid., II, 8 ; III, 3.
  4. Discours sur la condition des Grands, I (Ed. Havet, p. XLV).
  5. Ibid., I. — Pensées, VI, 7.