Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, I.djvu/216

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tent cette sainteté, qui ne souffrirait pas d’être regardée de trop près.

Ayant accompagné Fontenelle jusqu’à ce terme, Nietzsche va l’abandonner définitivement et ne le suivra pas au delà. Son sévère pédantisme allemand se reconnaît ici : il est d’un peuple qui a tout obtenu de l’effort et qui n’est pas d’un génie souriant. Nietzsche sait sourire parfois, mais reprend aussitôt sa moue sévère d’éducateur. Fontenelle réclame de nous une audace brillante et un peu folle. Il pense que cette énergie allègre moissonnera, sans les avoir préparées, les trouvailles heureuses :

On fait presque toujours les grandes choses sans savoir comment on les fait ; et on est tout surpris qu’on les ait faites[1].

Cette réflexion que Fontenelle attribue à la duchesse de Valentinois, il pourrait l’attribuer aussi bien à César, pour des conquêtes à vrai dire moins galantes ; et la science non moins que la politique est un jeu de colin-maillard[2]. Charles-Quint le soutiendra contre Érasme ; et Descartes confesse, du moins chez Fontenelle, que la plupart des vérités auxquelles atteint la philosophie, elle les « attrape les yeux bandés »[3].

Il n’y a pas de plus charmante modestie que celle des grands hommes de Fontenelle. S’ils se laissent aller à quelque fanfaronnade, les interlocuteurs qu’il leur choisit les en ramènent. Fontenelle aime la vie, c’est pourquoi il badine même de la mort. Il aime l’héroïsme comme un luxe aisé et une forme du bonheur, mais dans sa réussite le hasard lui semble avoir la part principale ; le hasard.

  1. Dialogue de la duchesse de Valentinois avec Anne de Bologne, p. 125.
  2. Attention Cette note est à une place supposée, l’éditeur ayant oublié de la positionner : Dialogue d’Érasme avec Charles-Quint, p. 52.
  3. Dialogue de Descartes avec le faux Démétrius, p. 126.