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« pourvu qu’on donne ce nom à un ordre qu’on ne connaît point »[1].

La confiance de Fontenelle dans la vie va jusqu’à accorder à tous les siècles une part de grandeur égale. Il n’en voit guère de moins bien partagé que les autres en fait d’hommes d’élite. Ce n’est pas lui qui fera une critique de la modernité comme synonyme de décadence ; car « aucun ouvrage de la nature n’ayant encore dégénéré, pourquoi n’y aurait-il que les hommes qui dégénérassent »[2] ?

De toutes les doctrines de Fontenelle, c’est celle à laquelle Nietzsche résistera le plus. Préoccupé, lui aussi, comme Fontenelle, d’ « étendre les vues de l’homme sur l’avenir » ; et certain, comme lui, que l’homme est « né pour aspirer à tout et pour marcher toujours »[3], il n’admettra pas que sa destinée soit « de n’arriver nulle part ». Fontenelle croit à la floraison naturelle des vertus parmi les fautes, ou à une beauté imprévue des actes et des pensées qui éclosent de la seule richesse de notre fonds. Nietzsche croit que tout se prépare et se paie en labeur. L’avenir est sans doute le pays des possibles. Mais les possibles, c’est nous qui les avons en mains ; ce sont des semences présentes qui lèveront en réalités dont aucune n’est fortuite. Or, il n’y a pas de domaine que Nietzsche soit plus jaloux de posséder d’avance que l’avenir ; et c’est de lui surtout qu’il faut éliminer le hasard.

Aussi croit-il à la non-existence du hasard. Tout vivant grandit au milieu des circonstances contingentes d’où il est né. Pourtant, il ne les subit pas seulement ; en s’y adaptant, il les transforme. Au centre, cette « force active » et organisatrice qu’on appelle l’âme, se nourrit

  1. Érasme et Charles-Quint, p. 53.
  2. Socrate et Montaigne, p. 34.
  3. Jeanne de Naples et Anselme, p. 65.