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des données qui la servent ; et jusque dans les tissus de l’organisme qu’elle édifie, se fixent les dispositions héréditaires, où l’avenir est comme enclos[1]. La sélection naturelle élimine l’accidentel et prend possession du futur, dans des formes prévisibles. Elle créera savamment la grandeur de la race future et de ses plus nobles exemplaires.

Cette notion, Fontenelle ne pouvait la fournir à Nietzsche. Elle le dépassait, lui et son siècle. Il lui manquait une espérance terrestre assez haute. Il y faudra l’âme orgueilleuse et amère d’un Chamfort ou d’un Stendhal, chez qui « l’idéologie » sert à discipliner les forces d’enthousiasme qui ne viennent pas d’elle. L’idéalisme d’un Emerson n’y sera pas de trop, ni la nouvelle foi terrestre qui naquit de la biologie contemporaine. Nietzsche a partagé cette foi enivrante. Elle l’a amené à penser que la connaissance des lois de l’hérédité nous apprend à prévoir et à dresser les générations futures ; et que, la généalogie de la morale une fois connue, nous réussirons à produire par sélection la moralité héroïque, comme nous pouvons obtenir des exemplaires parfaits des races animales. Dans l’influence des moralistes français sur Nietzsche, c’est là une limite que la différence des temps explique, et qu’il ne faut pas oublier.



  1. Wille zur Macht, § 673. (W., XVI, 136.)