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leur vulgarité « comme un jet d’eau sale » sur l’homme supérieur qui passe. Son mépris de la moralité convenue se sert d’une exagération de langage stendhalienne pour préférer les criminels aux médiocres et affirmer que « tous les grands hommes ont été des criminels »[1]. Si, dans Napoléon, il a admiré l’homme « qui traitait en ennemies personnelles toutes les idées modernes et en particulier la civilisation », le continuateur de la Renaissance, « qui a ramené à la surface tout un fragment d’antiquité, et le plus décisif, le morceau de granit »[2], c’est ici le culte stendhalien du génie latin, fait d’énergie et d’intelligence qui reparaît.

III. L’esthétique du beylisme. — Stendhal et Nietzsche aiment à reposer leur pensée ailée sur des impressions d’art comme sur des ramures odorantes avant de lui faire reprendre son vol. Stendhal goûte davantage les arts plastiques, Nietzsche la littérature. Mais la passion musicale leur est commune, et, par degrés, leurs goûts mêmes se rapprochent. Le beylisme aboutit à une esthétique, comme l’énergie des peuples que Stendhal a aimés s’épanouit en œuvres d’art, parce que rien ne vaut les formes belles pour nous suggérer le bonheur.

Stendhal a ébauché une idéologie des arts, un art de dissection du beau, très technique et aride ; mais il savait admirer avec une fiévreuse exaltation. Il a affirmé avec force que « les arts chez un peuple sont le résultat de son état physique et de sa civilisation tout entière, c’est-à-dire de plusieurs centaines d’habitudes »[3] ; et il s’est proposé de soulever une à une les couches d’habitudes super-

  1. Ibid., Jenseits, § 263. {W., VII, 249). — Wille zur Macht, § 736. {W., XVI, p. 135.)
  2. Ibid., Fröhl. Wissenschaft, § 362. {W., V, 313.)
  3. Vie de Rossini, p. 344.