est bien évident que l’histoire pure, dont la seule fonction est de comprendre, s’éloigne de cette façon de penser. Une prédilection s’accuse donc chez Burckhardt, qui tient à une foi profonde. À toutes les puissances d’immobilité, aux grandes constructions matérielles et morales qui unissent les hommes pour les œuvres de la force et de la croyance, gigantesques parfois, mais destructives de la personnalité, il préfère l’épanouissement des énergies intérieures de l’homme. Pour lui, il n’y a pas d’autre définition de la civilisation que cette floraison spontanée de créations de l’esprit où la contrainte n’est pour rien. Nietzsche ici encore le suivra. « Le principe des nationalités est d’une grossièreté barbare auprès de l’État-cité. » Rome est le type de l’État barbare[1].
Toute la philosophie burckhardtienne de la grandeur historique est ainsi dominée par cette foi en la valeur de ce qui atteste ou suscite une forte vie intérieure. En tête de cette philosophie, il y aura cette maxime : Grœsse ist zu unterscheiden von blosser Macht[2]. Ce qu’il faut viser à créer, c’est une civilisation qui soit une pépinière de grands hommes ; et l’on n’est pas grand parce qu’on est heureux dans ce monde, parce que l’on a été un militaire victorieux, ou que d’une façon matérielle on a amené un changement dans la destinée de beaucoup[3].
Faut-il alors considérer qu’un homme est grand parce qu’il est hostile à l’emploi des moyens matériels ? Il ne faudrait pas prêter à Burckhardt ce moralisme attendri. Il sait que la moralité n’est pas la civilisation. La moralité traditionnelle s’attache trop à « dompter l’individu » pour que la culture vraie ne lui soit pas en aversion par tout