Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, I.djvu/30

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pour Nietzsche, au temps où il sentait croître en lui sa force novatrice, le secret même du génie. Raphaël et Gœthe ont eu cette science du larcin légitime ; et Nietzsche, qui l’a apprise d’eux, se défend lui-même quand il plaide leur cause.

Gœthe n’est pas, parmi les grands classiques allemands, celui dont l’action sur Nietzsche a été la plus immédiatement manifeste. Mais cette action, commencée de bonne heure, s’est approfondie plus qu’aucune autre. Il a été le modèle lointain, admiré plutôt que suivi, et aimé davantage à mesure que Nietzsche apprenait de lui. Est-il vrai, comme Nietzsche l’a écrit un jour à Peter Gast, que « la plus ancienne et la plus forte impression » lui soit venue de cette Nouvelle sans titre (Novelle), où un enfant dompte par le sortilège de la musique un lion échappé[1] ? Le fauve suit pacifiquement les chants qui disent le règne de l’Éternel sur la terre, et pose sur les genoux de l’éphèbe son mufle velu et sa patte redoutable. Est-il resté une trace de cette lecture dans la scène où le lion vient couvrir Zarathoustra des caresses de sa crinière et de son mufle, pour annoncer, lui aussi, la venue d’une ère nouvelle ? — Nous ne savons. Mais les impressions de jeunesse se gravent chez Nietzsche fortement. En 1863, écolier encore, il exprima le vœu qu’on lui offrît les poésies lyriques de Gœthe commentées par Düntzer[2]. Et en 1882, Jacob Burckhardt, le remerciant du présent que Nietzsche lui venait de faire de Froehliche Wissenschaft, trouvait au préambule versifié du livre annoncé par un titre emprunté à Gœthe[3], comme une sonorité claire de lyre gœthéenne[4].

  1. Briefe an Peter Gast, 19 avril 1887. (Corr., t. IV, p. 293.)
  2. Briefe an Mutter und Schwester, novembre 1863. (Corr., t. V, p. 47.)
  3. Scherz, List und Rache.
  4. Briefwechsel zwischen Nietzsche und Burckhardt. (Corr., t. III, p. 182.)