Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, I.djvu/317

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gauloise, macédonienne, romaine, donnaient des leçons d’union qu’on aurait dû écouter. Il faut en venir aux patriotes clairvoyants du dernier grand siècle, à Xénophon, à Épaminondas, aux Pythagoriciens de la seconde génération (Philolaos, Clinias, Archytas de Tarente, Eurytos de Métaponte), à Pliilopœmen enfin et à Aratos, pour que les Grecs conçoivent une discipline civique où l’homme vertueux se met au service de toute la nation. Est-ce là une déchéance ? Pour Nietzsche, au temps de son wagnérisme pur, c’est toujours une déchéance que de décider les destinées de la cité par raison. Il n’est pas dans la logique intellectualiste de Burckhardt de le soutenir. Si chez Burckhardt lui-même on sent une mésestime vague pour ces patriotes de la dernière grande heure, c’est que sa doctrine accuse ici un fléchissement sous l’influence de son ami. La cité, pour Nietzsche, est une enveloppe rude qui porte au-dedans d’elle une image immatérielle et brillante : un mythe. Ce qui l’a emporté lors des guerres contre les Perses, ce fut un mouvement de raison. La défensive raisonnée souleva un enthousiasme plus fort que le culte de la cité. Alors, la religion de la cité déclina dans la sensibilité grecque (W., IX, 69).

La victoire sur les Perses est ainsi une première cause de ruine, parce qu’elle est en même temps la victoire de l’intelligence. Elle l’est d’autant plus, selon Nietzsche, qu’elle donne la suprématie à Athènes, c’est-à-dire à la cité de la dialectique, du raisonnement critique et stérile, du socratisme. Par là des possibilités admirables de vie hellénique se trouvent ruinées du coup et nous aurons à dire que la poésie grecque elle-même en fut comme desséchée. Burckhardt empruntera à Nietzsche cette idée d’une victoire fatale à la civilisation des vainqueurs. Le chapitre où il démontre qu’après les sophistes, après Anaxagore et Socrate, la poésie d’un Euripide se détourne