Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, I.djvu/328

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sociabilité sobre du συμπόσιον, la conversation légère et non bruyante, générale et sans a parte perfides, qui exigeait de l’esprit une grâce discrète et un tact dont les limites, différentes de celles que nous admettons, étaient cependant définies.

Avec une volonté restée toujours violente et passionnée, une sensibilité d’enfants, excessive, instable, due à une prédominance prodigieuse du système nerveux : voilà quel fut leur fond. Aucune espèce d’hommes ne fut moins raisonnable. Menteurs à eux-mêmes comme à autrui, ils sont sincères dans leur mensonge. Ils ont leur franchise à eux, qui est l’inimitié contre toute convention. Ils sont ingénus même dans le mal, et par là purs et comme sacrés[1]. Les Égyptiens, peuple de vieilles castes, calculateurs, enclins à l’abstraction, sentaient bien ce caractère primesautier et enfantin des Grecs. Leur esprit, selon Nietzsche, n’était pas « spirituel ». L’esprit (Witz) naquit plus tard de la contrainte théologique, de l’obligation de ruser avec la vérité, de s’ingénier aux interprétations ambiguës des mots[2]. Si l’ironie socratique, qui nous paraît un peu lourde même chez Platon, a pu produire une impression si extraordinaire, c’est qu’elle n’était pas familière aux Athéniens, et leur facilité Imaginative combinait les images comme par jeu, mais non sans une crédulité profonde[3]. Voilà un de ces points où l’influence de Nietzsche sur Burckhardt est certaine. Burckhardt avait montré souvent que l’« esprit » sous toutes ses formes, l’ironie narquoise et la caricature mordante surgissent avec nécessité de cette lutte jalouse des intelligences, continuée jusque dans la conversation la plus

  1. Nietzsche, Andeutungen über die Griechen, § 205. (W., X, p. 386).
  2. Ibid., § 244. (W., X, p. 392.)
  3. Nietzsche, Philosophenbuch, § 196. (W., X, p. 225.)