Grecs, qu’il s’est faite de première main, d’après des textes que Burckhardt lui avait appris à interpréter. Il n’a jamais cessé d’avoir les yeux fixés sur cette image éclatante, et, quand il aura compris que l’ambition d’une nouvelle civilisation à venir serait de « dépasser les Grecs », c’est encore d’une intelligence approfondie et nouvelle des Grecs qu’il espère ce progrès. Après 1876, ses œuvres seront pleines de ce leitmotiv. Dans les Choses humaines, trop humaines, il admirera leur civilisation virile où les femmes tiennent si peu de place, où elles ont pour seule mission d’enfanter des corps admirables et forts, afin d’assurer à la race une santé musculaire capable de suffire à la dépense nerveuse d’une pensée constamment vibrante[1]. Il soulignera l’étrangeté de leur vie morale si difficile à pénétrer aux chrétiens, mais où il voit la condition première de leur supériorité ; le don de l’absolue sincérité, la liberté de l’esprit dans la discipline des penchants, leur respect de la vie instinctive, le soin qu’ils ont de l’endiguer, mais de lui garder aussi sa force, cette habitude de ne point cacher leurs passions mauvaises ni le fond dangereux d’animalité qui demeure au fond de l’homme cultivé. Et c’est de tout cela qu’il fera un jour, pour une grande part, l’idéal de son immoralisme. Grâce à ces fêtes données à des passions dangereuses, et qui seraient mortelles si on ne leur permettait de se satisfaire en de certaines formes socialement tolérées, les Grecs maintiennent leur humanité intacte et saine, et la cité, qui les autorise, reste à l’abri des soubresauts que produirait la passion opprimée.
- ↑ Nietzsche, Menschliches, Allzumenschliches, I, § 239.