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IV

l’idée de décadence


Nietzsche a tant aimé les Grecs qu’il répugne à admettre leur décadence. Il s’est volontiers représenté la chute de la Grèce comme une catastrophe brusque. Il lui faut pourtant ouvrir les yeux quand il étudie le grand fait social qui, à partir de la domination romaine, le préoccupe : le christianisme. L’interprétation qu’il en fait reste tributaire surtout de Franz Overbeck. Mais Burckhardt le familiarise avec la Grèce byzantine. Le livre de Burckhardt sur l’Époque de Constantin le Grand lui a laissé une forte impression.

Dans l’idée burckhardtienne de la décadence, ce qui domine, c’est l’hypothèse d’un vieillissement social. Rien ne venait mieux à la rencontre du lamarckisme de Nietzsche. Il n’a jamais oublié cette hypothèse, même à l’époque où la décadence lui apparut comme une crise de croissance, qui nécessite une débilitation provisoire, afin de rendre possible une régénération dans une vie plus affinée. Ce vieillissement social est d’abord physique. La guerre de Trente Ans qui ruine pour deux siècles l’Empire allemand fut pour Nietzsche, comme pour Burckhardt, l’événement par lequel il se fit une idée de ce grand fait de pathologie sociale, la décadence. C’est le sang même de la nation qui est épuisé par les massacres et par la famine ou vicié par la peste et par tout un afflux de sang barbare[1]. Or, l’époque de Constantin offre le spectacle d’une débilitation pareille. L’irrégularité grimaçante du type, scrofuleux ou bouffi, frappe dans l’art constantinien ; et même sans la décadence de la main-d’œuvre, la

  1. Burckhardt, Die Zeit Constantins des Grossen, 1853, p. 291.