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ciations sociales changent, s’il plaît à cette énergie de les changer. L’homme de volonté forte décrète l’honneur et l’infamie[1]. En pleine démocratie, il est roi. Il prend tout naturellement le ton de commandement et rien ne le brave. C’est la marque de son élévation. Ni l’âge, ni l’éducation, ni la naissance, ni la fortune, ni le mérite passé, ne peuvent vous empêcher d’avoir de la déférence pour un esprit plus élevé que vous.

Il n’y a pas seulement un sexe fort et un sexe faible ; la virilité vraie de l’âme est d’une autre nature. De certains hommes sont des créateurs et des guides, quand d’autres acceptent d’être guidés et marchent avec le troupeau. Emerson estimait que cette volonté, à travers tous les déguisements et malgré la défaveur des circonstances, transparaît toujours. Dès qu’on voyait Hercule, qu’il fût assis ou debout, il paraissait un dieu, dit la légende. Les Grecs ont ainsi fait entendre que les pétrisseurs de peuples sont toujours reconnus par ceux qui les attendent pour leur salut ou leur châtiment. Il suffisait à Napoléon de se montrer pour être victorieux : les armées des autres rois trahissaient pour le suivre. Cela est vrai même du succès vulgaire. Un commerçant né, qui a l’intuition des conjonctures favorables, ne peut pas ne pas s’enrichir : l’argent afflue vers lui par une pente naturelle.

Rien ne remplace cette autorité magnétique de l’esprit, ni le travail, ni l’art, ni la délibération. Elle ressemble à la vitalité forte des grandes villes, qui n’ont besoin d’aucun art pour forcer le capital ou le génie à travailler pour elles. Elles sont d’elles-mêmes attirantes. Elles semblent situées sur le bord de rivières invisibles et d’océans inconnus d’où, nuit et jour, les barques sont

  1. Emerson, Character. (Essays, II, p. 92.)