Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, I.djvu/81

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par Hœlderlin est celui de l’éducateur héroïque, qu’une irrésistible fatalité présente en lui pousse à répandre sa profusion intérieure. Eine Macht ist in mir und ich weiss nicht, ob ich es selber bin, was zu dem Schritte mich treibt. Ce héros de la pensée à la fois et de l’action, qui périrait de ne pas suivre l’appel intérieur, qui préfère périr pour l’avoir écouté, et qui sent son courage grandir à chaque coup de massue de la destinée[1], ne doutons pas qu’il n’ait laissé au cœur de Nietzsche son image pathétique.

II. Le drame d’Empédocle (1797). — Hœlderlin a peint une fois, cet éducateur philosophe, ennemi de la civilisation présente, et pénétré ardemment de l’unité profonde qui joint tous les vivants. Instinctivement, il choisit un de ces Présocratiques que réhabilitera Nietzsche, Empédocle. Et pourrons-nous oublier que Nietzsche aussi nous a laissé le scénario d’un drame du même nom ? Si nous voyons jusqu’aux comparses porter des noms pris au drame d’Hœlderlin, ne les croirons-nous pas empruntés ? Nous aurons à dire pourquoi le drame de Nietzsche eût différé, par son esprit, du drame d’Hœlderlin. Entre Hœlderlin et Nietzsche, Schopenhauer et Wagner ont passé. Mais par delà l’Empédocle de Nietzsche et par delà Schopenhauer, le candide et éloquent drame d’Hœlderlin jette déjà des lueurs sur un avenir où surgira Zarathoustra.

Hœlderlin ne sait pas ce que c’est qu’une tragédie. En revanche, il a une profonde et émouvante notion du tragique. Chez lui, une personnalité forte se brise contre le destin tout-puissant ; et toutefois elle n’a pas de cesse qu’elle n’ait déployé une fois au moins ses ailes toute

  1. Hœlderlin, Hypérion, 168, 120.