Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, I.djvu/87

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comme la plante et comme l’insecte humble. Il a été végétal immobile, et chrysalide close. À présent, c’est peu de dire qu’il brise son enveloppe de ténèbres, qu’il s’étonne de la lumière épanouie. La vérité est qu’il se détache du sol ; qu’il devient être ailé ; qu’il gravit un degré nouveau dans l’échelle des vivants. De là cette grande inquiétude qui s’empare d’Agrigente, La vie se réveille dans l’enveloppe vieillie de la cité. Elle prend son vol. Elle abandonne la dépouille des aïeux, les coutumes, les lois vieilles. Il faudra du temps pour que Nietzsche, lui aussi, conçoive la civilisation nouvelle comme le fronton d’un temple posé sur les hautes colonnes des lois égales pour tous. Mais cette faculté de vivante métamorphose, de destruction et de reconstruction de soi et de la cité, n’est-ce pas en elle que Nietzsche verra le signe principal d’une humanité capable de se dépasser ?

Tel est le héros d’Hœlderlin. Et il s’en va, parce qu’il ne faut pas que l’envoyé des dieux soit méconnu deux fois, et parce que sa parole ne peut recevoir le sceau de la vérité que par la mort. Ses disciples ne seront pas seuls. Il n’y a plus de solitude pour ceux qui ont compris un tel enseignement. Cet enseignement sort de la floraison des astres comme des fleurs étoilées de la terre. Il est le gage de la fraternité entre l’homme et les énergies universelles. Mais parmi les prédictions que le philosophe, en s’en allant, déposera sur des lèvres chères, il y en a une qui doit encore nous retenir. Il la profère dans l’enthousiasme de la résolution, qui porte librement à ses lèvres la coupe mortelle :


                             Va donc, et ne crains rien,
D’un retour éternel toutes choses reviennent,
Et ce qui doit échoir, déjà s’est accompli[1].


  1. Geh, fürchte nichts. Es kehret Alles wieder, Und was geschehen soll ist schon vollendet (v. 2231), I, 305.