génies philologiques ne sont encore que de petits patrons, des artisans « au service de quelque demi-dieu, dont le plus grand, depuis dix siècles, était Schopenhauer »[1]. En ce qui le touchait, Nietzsche ne disconvenait pas qu’une « buée schopenhauérienne » planait sur tous ses travaux[2]. Un état d’esprit se préparait en lui, qui allait découvrir dans la philosophie le sens même de la poésie grecque.
Sous l’empire de sa conviction, il courait à de nouvelles imprudences. Pour son doctorat projeté, ne devait-il pas choisir un sujet philosophique ? Dans la fermentation de ses idées, il oubliait l’accueil fait à son précédent manuscrit par les philosophes de Leipzig. Il croyait avoir réuni tous les matériaux d’un travail sur « la notion de l’organisme dans Kant ». Nul doute, comme l’a remarqué finement un bon juge, qu’il ne tournât déjà autour de ce problème de la vie, qui fut le « problème de Nietzsche[3] », comme il est le problème de toute philosophie naturelle. Déjà aussi il occupe d’instinct la position qui sera la sienne jusqu’au bout. Kant avait su critiquer l’idée de cause finale ; et toute finalité est bannie des sciences naturelles depuis sa critique. Nietzsche espère en éliminer l’idée de cause et de nécessité. Des faits juxtaposés avec contingence, voilà ce qui est donné, et ce que nous ne pouvons dépasser. « Il n’y a ni ordre ni désordre dans la nature. » Les formes de la vie et les lois de la nature sont les sélections de hasard. La vie s’établit et se maintient par ces combinaisons fortuites ; la science devra expliquer les apparences de la nécessité et de la raison par cette