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Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, II.djvu/123

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LE MILIEU HELVÉTIQUE

Bachofen, depuis longtemps magistrat, avait enseigné le droit. Brusquement son livre sur le Matriarchat (das Mutterrecht), qui bouleversait les idées admises sur l’origine de la famille, lui avait valu une notoriété européenne. Un Bernois, le zoologiste Rutimeyer, assemblait des faits nouveaux sans nombre en paléontologie, et créait de méthodiques et audacieuses hypothèses. Ouvert à toutes les idées, et tout acquis à l’idée du transformisme alors si fortement combattue, il n’était pourtant pas dupe des exagérations darwiniennes ; et déjà, derrière Darwin, il savait retrouver Lamarck, alors oublié. Plus d’une fois, dans des conférences et dans des conversations intimes, il se répandait en généralisations, où Nietzsche a pu apprendre ce que les hommes les plus compétents savaient alors des origines de la vie. Enfin, au-dessus de tous, comme la gloire la plus certaine, rayonnait Jacob Burckhardt. Ses livres sur la Civilisation de la Renaissance, le manuel d’art qu’il avait intitulé le Cicérone, son livre sur l’Époque de Constantin avaient frayé des voies nouvelles à l’histoire de la civilisation. Il avait su présenter ses idées dans une langue châtiée, d’éclat discret, mais toute lumineuse d’intelligence, et qu’on aurait cru prise aux grands Italiens et à Montesquieu. On ne savait pas encore au dehors que sa notion des Grecs aussi était nouvelle, et qu’il s’élevait à des généralisations sur la philosophie de l’histoire qui dissipaient la défiance dont cette discipline était enveloppée depuis Hegel. Burckhardt gardait pour lui ces constructions. Mais quand il s’ouvrait de ces généralités, fruit de l’érudition historique la plus étendue et pénétrées du scepticisme le plus éclairé sur les institutions et sur les hommes, ces leçons rares et étincelantes étaient le régal des connaisseurs.

Ce qui faisait la supériorité de ces hommes, c’est qu’ils