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CHAPITRE II


AMITIÉS PROCHES ET LOINTAINES



Pour cette besogne de civilisation, aussitôt surgissaient en Nietzsche des velléités de réformateur. Il fallait grouper des amis et commencer un apostolat. Tribschen était un centre : il fallait en assurer le rayonnement. Bâle était la ville de Burckhardt et de l’humanisme. Elle n’était pas encore la ville de Wagner et de la suprême philosophie. Nietzsche alors sonna le rappel des amis lointains. Il assignait à tous des postes de missionnaires. Sa solitude était faite d’abord de son impatience à se répandre. Pourtant, si changeante que fût sa pensée toujours en travail, il gardait la fidélité des amitiés, et la vie intérieure se composait d’abord une symphonie de tendresses.

Parmi ces accords du cœur, nécessaires à sa vie, il y en avait qui s’affaiblissaient par la distance. Son premier soin, une fois installé à Bâle, était de prêter l’oreille : quels étaient ceux qui s’effaçaient ou se précisaient ? « Un groupe d’amis est comme une projection de notre âme au dehors[1]. » La gamme de ses amitiés lui faisait mieux connaître la tonalité de sa musique intérieure ; et il jugeait de sa valeur propre par la valeur de ses amis. S’il est vrai, comme il l’avait appris de

  1. P. Deussen, Erinnerungen, p. 67.