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Fichte, que l’âme se reconnaît par le corps qui l’exprime, les affections dont il s’entourait faisaient à Nietzsche comme un halo et une atmosphère où se reflétait sa pensée. C’est pourquoi il fut toujours, en amitié, si jaloux et si pur, ambitieux de dominer, jusqu’à abuser de ceux qu’il aimait ; et son instabilité sensitive trouvait un contrepoids dans ces amitiés choisies dont il faisait e corps multiple de son âme embrasée.

La vie pourtant éparpillait constamment ce chœur fraternel. Il avait beau imaginer des solennités, ménager savamment des entrevues. Son passage à Leipzig, en octobre 1871, fut une de ces commémorations, où il avait su réunir les plus vieux camarades de Naumburg, de Pforta et de Leipzig : Krug et Pinder, Gersdorff et Rohde[1]. « Zur Freundschaft gehört Gegenwart », écrivait-il à Deussen[2]. Un reclassement se faisait donc dans ses amitiés. Il y eut les amis dont il ne garda que le souvenir et dont l’image pâlissait, et ceux qu’il eut à cœur de revoir, d’inviter ou que la vie rapprochait de lui et dont elle faisait des confidents et des collaborateurs.

Le décor de la vieille ville de Naumburg s’estompe ainsi dans la brume, avec toutes les silhouettes qui lui avaient été familières. Pinder et Krug, qu’il n’a pas manqué de revoir à chacun de ses passages dans la cité de son enfance, et qu’il a revus fiancés et mariés en 1873 et 1874, lui restent attachés et chers, mais leur souvenir est vide de cette chaleur que donne le contact quotidien. Échanger quelques lettres de félicitations pour un anniversaire, une fête ou un deuil, quand disparaissent de vieux parents, offrir une photographie, qu’est-ce que cela, si ce n’est raviver le sentiment de la distance et du renon-

  1. Corr., I, 192.
  2. Ibid., I, 144