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qu’un peu de liberté, un peu d’air vivifiant véritable ; je me défends, je me révolte contre toute cette indicible quantité d’esclavage dont je porte les chaînes[1].

Et il doutait encore en 1874, qu’il pût s’affranchir jamais. Dans cette longue lutte, quand il se sentait las, « comme l’éphémère le soir », il confiait à Gersdorff sa plainte qu’il lui fallait taire. Les étapes communes de leur vie : Pforta, Leipzig, la guerre de 1870, Tribschen, furent ainsi avant tout un commun apprentissage, une montée vers des positions de plus en plus élevées d’où ils se promettaient « une perspective dégagée sur leur vieille culture »[2]. Ils en étaient là encore lors du cataclysme moral de 1876. Puis la correspondance sera muette entre les deux amis ; et, dans la grande solitude où Nietzsche s’enfoncera, le fidèle Gersdorff ne sera plus qu’une image et un idéal placé à son rang dans la hiérarchie qui monte vers l’humanité nouvelle.


IV

erwin rohde


Comment se fait-il que de toutes les amitiés de Nietzsche, celle pour Erwin Rohde, scellée dans la camaraderie d’un court semestre d’été, à Leipzig, rayonne d’un éclat sans second ? Seule, son amitié pour Franz Overbeck lutte avec elle de gloire, depuis qu’on possède les lettres qui en attestent la longue et inaltérable tendresse.

Parmi les groupes changeants où se déroule la vie de Nietzsche, ce qui donne à ces deux amitiés leur relief et leur couleur, c’est le talent de ses partenaires, et

  1. Corr., I, 269.
  2. Ibid., I, 342.