Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, II.djvu/169

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En ces temps où la Philosophie de l’Inconscient d’Eduard von Hartmann était récente, les efforts des philosophes tendaient à élucider les rapports de la pensée inconsciente et de la pensée consciente. Avec passion, Rohde et Nietzsche se donnaient à ces recherches, dont on espérait le renouvellement des sciences morales. Les grands faits sociaux, les religions, les littératures, allaient s’éclairer dans les profondeurs. Le travail obscur des foules et l’inspiration du génie allaient devenir intelligibles.

Tout naturellement, pour Rohde, les philosophies et les religions se rangent alors en deux classes. Il y a : 1° celles qui ne mettent en question que l’homme conscient, les religions de l’humanité auxquelles prélude le judaïsme ; les philosophies de l’homme qui vont d’Auaxagore et de Socrate à Hegel. Et en regard : 2° les spéculations ouvertes sur les rapports de l’un-tout et de l’homme : les religions de l’Univers dont le bouddhisme fournit le cas-type et les philosophies mystiques, dont les Présocratiques ont donné les échantillons les plus parfaits et Schopenhauer le dernier. Ainsi Socrate, si l’on veut transposer la définition donnée de lui par les Anciens, a ramené la philosophie de l’univers à l’homme ; et il l’a pu faire en sacrifiant l’intuition mystique et la connaissance de l’univers. Schopenhauer a voulu retourner de l’intelligence consciente à l’inconscient ; de la philosophie de l’homme au mysticisme universaliste. C’est un impossible passage, car les intuitions profondes ne sont pas démontrables. Elles s’imposent au sentiment. Il était seulement possible de construire sur des plans différents, celui de l’intelligence et celui de l’instinct, des philosophies d’une vérité égale, bien qu’inconciliables[1].

  1. Rohde, Cogitata, § 4, fi, 6, 10, 11.