Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, II.djvu/205

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empêcher. Mais, devant cette apostasie de l’amour, le mourant trouve un langage si émouvant de douleur et peut-être de mépris, qu’il apitoie le plus impassible courage. À présent, le cœur d’Empédocle se fend, et il doute.

Sa pitié assied plus fermement en lui une résolution maintenant plus douloureuse. Sa proclamation, dans le Bacchanale du soir, eût été sans doute pleine de résignation, comme cette orgie organisée par Jean de Leyde, la veille de l’assaut de Munster, dans le poème où Robert Hamerling a célébré « le roi de Sion ». Rassuré par la présence de son dieu, le peuple eût oublié son fléau ou l’eût accepté. Que devait être cette scène où une vieille femme, en présence d’une chère et jeune défunte, donnait le spectacle d’un calme pessimiste ? C’eût été une scène funéraire, où sans doute aurait parlé, avec une simplicité ingénue et grande, toute la douleur des affections humaines déchirées. La résignation d’une pauvre femme en cheveux gris eût fait paraître encore plus dignes de pitié les affres des survivants tourmentés ; et Empédocle eût arrêté alors son plan de mort, qui allait anéantir toute une cité. C’est rempli de cette pensée qu’il se serait montré une dernière fois, sombre, dans la maison de Corinne.

Puis, la nuit, Empédocle eût paru parmi ses disciples, dans une scène simple et grande à faire sangloter. Tel le Christ au jardin des Oliviers, ou Zarathoustra, sur cette montagne « où fument la détresse et le deuil », et où il dira sa philosophie douce, résolue et cruelle. À ce peuple prosterné devant lui, Empédocle eût enseigné l’abdication devant la vie. Il faut jeter bas, aurait-il dit, la statue de Pan, muette à la douleur de l’homme. La seule destinée digne de nous, est de savoir mourir. Grande prédication, mais qui prépare au philosophe une suprême déception. La couardise du peuple devant la mort est pire que son